TINTIN AU YÉMEN


Création le 23 septembre 2016
Modification 1 le 6 décembre 2017

Non, Tintin, notre sympathique reporter n’est pas allé au Yémen. Pourtant, il aurait dû, car il y aurait trouvé matière à de belles aventures.

En tant qu'expert international génie civil et bâtiment dans une grande compagnie pétrolière, Elf-Aquitaine pour ne pas la nommer, voici notre aventure personnelle. À lire, de 7 à 97 ans, voire plus :

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C’était dans les années 80, le Macintosh était dans ses débuts. Les premières disquettes de logiciels passaient de l’un à l’autre. Un ami m’avait refilé une disquette de traitement de texte en arabe. Pourquoi pas ? Et voilà qu’on me demande d’aller au Yémen (démocratique et populaire) faire un appel d’offres pour le génie civil d’un emplacement de forage à terre. Bonne occasion - peut-être - d’utiliser cette disquette ?

À l’arrivée à l'aéroport d'Aden, pas de problème de contrôle : c’est fou ce qu’on est bien accueilli dans une République socialiste quand on fait partie d’une société pétrolière. On traverse à vive allure la salle des douanes, remplie jusqu’au plafond de ballots, caisses et colis divers, dont les propriétaires négocient âprement les droits de douane avec les gabelous.

Hébergement dans un hôtel « de luxe » pour étrangers. Et j’y fais connaissance d’un ingénieur pétrolier brésilien qui me dit être navré, car il vient d’acheter un Mac au Brésil, mais il ne sait pas s’en servir. Tope là : je lui donne des cours dans la journée, et il me prête son Mac la nuit.

Dans la première nuit, l’appel d’offres est bouclé en français et en arabe, grâce à notre interprète yéménite. Au petit matin, le Chef de mission va rencontrer le responsable du Ministère du Pétrole du Yémen. Après les salutations d’usage, on en vient à la procédure. Le responsable yéménite prévient aimablement son homologue français que la version officielle en arabe de l’appel d’offre ne pourra hélas être prête que dans une quinzaine de jours. Qu’à cela ne tienne, lui répond le chef de mission, la voilà !

Un ange passe, mais contre bonne fortune, il faut faire bon cœur. Pendant ce temps, j’apprends, par hasard, toujours au bar de l’hôtel, qu’une entreprise française de génie civil travaille à la construction d’un futur Club Méditerranée à Mukalla. Cela vaut la peine d’aller vérifier sur place. Le trajet se fait par la route, en y passant éventuellement une nuit à l’hôtel. Mais le guide me prévient : pas bon l’hôtel ; il comporte deux dortoirs très séparés, l’un pour les hommes et l’autre pour les femmes. Il vaut mieux faire le trajet d’une traite et terminer la virée au chantier du Club Med.




Ce qui fut fait. Mais le lendemain, coup de téléphone de la mission. La police vient de lui faire savoir qu’elle avait perdu notre trace, car nous étions obligatoirement attendus à l’hôtel « local ». 

À Mukalla, tous les engins de terrassement de l’entreprise sont en « stand-by » et elle est ravie de participer à cet appel d’offres. Au retour, je veux photographier un village typique. Mais au moment d’appuyer sur le bouton, une, puis deux clameurs m’interpellent. Ce sont deux hommes qui me montrent qu’une forme noire masquée de cuir est sortie d’une maison, et que j’étais sur le point de la photographier. Je lève les bras au ciel pour montrer ma bonne volonté … et l’incident est clos.


Puis, je dois prendre l’avion, une ligne intérieure yéménite. L’avion est russe, mais les sièges ont été adaptés au gabarit des Yéménites, pas à celui des pauvres Russes, pliés en accent circonflexe. Je boucle donc ma ceinture, quand le steward fait signe à tout le monde de se lever et d’aller se grouper à l’arrière de l’appareil, qui se cabre beaucoup plus facilement au décollage. C’est rarissime, mais c’est efficace.

Arrivé à destination, je vais rencontrer l’administration yéménite pour lui expliquer ce que nous avons l’intention de faire. Do you speak yéménite ? Pas du tout, et à l’aide d’un papier et d’un crayon, je fais un cours de forage en pidjin à mon interlocuteur. Le courant ne passe pas très bien, et il a une idée lumineuse : il s’absente quelques instants et je vois apparaître un homme jeune, habillé d’un kilt à l’écossaise, et qui me salue dans un français impeccable : il a fait ses études supérieures à l’Institut du pétrole d’Alger. Donc, tout va bien !



L'étape suivante est de faire faire la visite de chantier aux entreprises yéménites et autres. Voyage sans problème. Pour le déjeuner, nous achetons une chèvre, nous la faisons cuire à la broche, avec pour dessert un délicieux régime de dattes locales. Le paysage devient lunaire, absolument lunaire.

À travers une tempête de sable, nous  arrêtons nos véhicules, et « du haut d’une dune », nous contemplons l'emplacement du futur chantier. L’entreprise palestinienne, elle, est venue en deux véhicules, l’un pour l’ingénieur, l’autre pour ses quatre gardes du corps armés de kalachnikovs. Il fait très soif, et la visite se termine, la gourde à la main.




En attendant la réponse des entreprises, je me vois confier une mission. Pour des raisons de secret défense, il n’y a pas de carte de la ville d’Aden, et ce n’est donc pas simple de s’y retrouver pour l'européen lambda. Donc, à l’attention de notre groupe, je vais faire une carte « privée » à l’aide d’une boussole et du compteur kilométrique de la voiture. L’affaire est en bonne voie, jusqu’à ce que j'aperçoive dans le rétroviseur une autre voiture qui nous suit. Quand je m’arrête pour écrire mes observations, l’autre voiture s’arrête également et ses occupant s’affairent sous le capot. Quand je repars, ils ferment le capot et repartent également, cela pendant sept ou huit fois. Je décide d’arrêter les frais : il ne faut pas tenter le diable.

L’ouverture des plis est un coup de théâtre, un coup d’éclat, surtout pour l'entreprise séoudienne. À la stupeur générale, l’entreprise française a cassé les prix (confortablement estimés) ! Et elle a remporté le marché ...

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C’est la vie ; et en route pour de nouvelles aventures …